Une histoire de codes ou quelques réflexions consécutives aux élections du 8 octobre.

Une histoire de codes ou quelques réflexions consécutives aux élections du 8 octobre. Chères lectrices et chers lecteurs, Il y a quelque temps, je vous avais fait part de ma passion pour la langue et la culture turques et de l’itinéraire qui

Une histoire de codes ou quelques réflexions consécutives aux élections du 8 octobre. Chères lectrices et chers lecteurs, Il y a quelque temps, je vous avais fait part de ma passion pour la langue et la culture turques et de l’itinéraire qui m’avait conduit à travailler dans la communauté turque de Bruxelles. Aujourd’hui, je voudrais vous parler de codes, non pas de codes secrets ou de codes de banque, mais bien de codes culturels. Le code, c’est un ensemble de signes ou de références nous permettant de nous orienter, de savoir comment nous comporter dans une situation donnée. Le mot code renvoie aussi à un aspect caché, secret connu seulement de ceux qui l’utilisent. Le code, c’est aussi ce qui permet l’accès, ce qui nous permet d’ouvrir une porte par exemple pour entrer dans un coffre ou encore dans une communauté. Assurément, les codes, les cultures ne sont pas partout les mêmes, ils diffèrent selon les pays, les communautés et même au niveau plus personnel selon les individus. « Très bien » me direz-vous, « mais cela nous le savions déjà, rien de nouveau donc ». Ce que je voudrais mettre en avant, bien maladroitement, c’est la difficulté de communiquer ou même seulement de vivre ensemble si nous ne connaissons rien de l’autre, de sa façon de penser, de ce à quoi il accorde de l’importance, de ce qui fait sens pour lui. Une culture, c’est une langue, une façon de voir le monde, une façon de respirer, une façon de marcher, une façon de rêver et de construire son avenir… Le fait d’appeler « grand frère », « grande sœur », « oncle », « tante » des inconnus croisés dans la rue ne nous en dit-il pas bien plus sur les liens sociaux régissant une communauté que bon nombre d’explications savantes ? Peut-on connaître un pays, une culture en quelques jours ou quelques mois, en la résumant à quelques clichés ? Comment ne pas considérer avec ironie les déclarations de certains politiciens qui se découvrent, au détour de la campagne, « proches de la communauté turque ». Quel crédit apporter à de telles déclarations ? Mais je sors de mon sujet… La Turquie n’a-t-elle donc rien d’autre à offrir que des villages de vacances et les tours organisés, rien d’autre à montrer que la Mosquée Bleue, Sainte-Sophie, aussi remarquables soient ces monuments ? La communauté turque de Bruxelles, est-ce seulement les pides, les döners et les doubles files de la chaussée de Haecht ? A l’heure où l’on parle d’intégration, n’est-il pas temps de prendre l’autre au sérieux et d’apprendre à le connaître ? N’est-il pas temps de dépasser la vanité des discours pour multiplier les points de rencontre, les ponts entre les gens ? Savez-vous par exemple qu’en Belgique, en dépit du nombre important de personnes d’origine turque, il n’existe pas de département de turcologie sérieux et qu’il est donc pratiquement impossible d’apprendre le turc à un bon niveau. En outre, n’incomberait-il pas aux intellectuels d’origine turque d’être aux côtés de leur communauté et de présenter de celle-ci une image plus juste et plus positive ? Malheureusement, nous devons bien constater que la plupart d’entre eux se sont coupés de la vie des quartiers, trop occupés à gagner une légitimité dans la société d’adoption. Ce faisant, ils laissent la place à ceux qui misent sur le communautarisme le plus étroit et qui tirent parti du repli identitaire. La suite, nous ne la connaissons que trop bien…il nous suffit pour cela de prêter l’oreille aux échos de la campagne schaerbeekoise dans les grands quotidiens belges et de lire les métaphores animalières qu’on y trouve. « Schaerbeek mérite mieux », assurément…les belges d’origine turque également ! Que penser en outre de cette attitude bien connue de certaines « élites » qui consiste à tenir la Turquie et les hommes politiques de la communauté sous un feu nourri de critiques ? Pensent-ils que c’est comme cela que l’on va promouvoir le dialogue et faire avancer les choses ? Le moment n’est-il pas venu de donner la parole à des personnes qui, parce qu’ils connaissent les deux codes, le « belge » et le « turc », et parce qu’ils travaillent sur le terrain, seraient en mesure de favoriser une véritable rencontre et l’accès à une véritable citoyenneté ? Je pense qu’il est temps également que les leaders d’origine turque assument leurs responsabilités et travaillent dans le sens de l’ouverture et du progrès de leur communauté. A ce titre, l’accession d’un élu d’origine turque au poste de secrétaire d’état et peut-être plus tard de bourgmestre me semble être une chance historique pour la communauté turque de Belgique. A nous, à vous, chères lectrices et chers lecteurs, d’être au rendez-vous ! Pierre Bastin